Pour Xavier Voilquin (Director Training Operations EMEA, Medtronic), l’Intelligence artificielle générative tient d’une disruption universelle (tout secteur, toute fonction ou presque). Les départements formation sont aux avant-postes de l’impérative requalification des collaborateurs… Une requalification, note-t-il, qui concerne au premier chef les professionnels de formation…
L’Intelligence Artificielle générative introduit-elle une rupture majeure ?
Xavier Voilquin : Partons de la définition donnée par Google : l'intelligence artificielle générative (IAg, dans la suite) fait référence à l'usage de l'IA pour créer de nouveaux contenus (texte, images, musique, audio, vidéos). Dans le secteur de la santé, et plus particulièrement dans celui des dispositifs médicaux, la rupture majeure introduite par l’IAg se matérialise dans des solutions déjà existantes (capsules endoscopiques comme alternative à la coloscopie, par exemple), comme dans d’autres qui, arrivant inévitablement, vont changer le marché, du côté de l'offre (les industriels du secteur) comme du côté de la demande (les praticiens). Avec le développement massif des sources de data, il devient difficilement soutenable pour les équipes médicales d’analyser des groupes de données toujours plus larges. La systématisation de la vidéo dans les blocs opératoires, pour ne prendre que cet exemple, n’est qu’une question de temps, et l’interprétation de tous les gestes effectués sur le patient (on pense à la boîte noire d’un avion) permettra aux algorithmes de l’IAg d’identifier les meilleures pratiques, et, finalement, de promouvoir une qualité de soin inégalée et standardisée, qu’on soit opéré à Lille, au Creusot ou à Bayonne !
L'IAg Impose-t-elle un mouvement massif de requalification ?
Xavier Voilquin : Préalablement à cette question, l’entreprise, son organisation, sa culture, doivent être bien alignées sur la prise de conscience et l’impact des bouleversements à venir. Il faut travailler dès à présent sur l’agilité individuelle comme sur l’agilité des multiples organisations qui composent l’entreprise ; développer un haut niveau de résilience devant des changements qui peuvent désorienter, voire effrayer. La capacité du leadership à clarifier positivement ce qui s’ouvre ainsi à nous, va jouer un rôle clé dans la perception qu’en auront les différentes strates de l’entreprise et dans leur acceptation de l’IAg et de ses impacts. Devenir plus agile, plus résilient, donc. Cela dit, vient alors le temps d’identifier les besoins en requalification, qui touchent potentiellement toutes les fonctions dans l’entreprise : cols bleus, cols blancs, collaborateurs, managers… Notamment dans leurs tâches les plus routinières. Même dans les hôpitaux, des cerveaux éminemment respectés qu’on pouvait penser à l’abri du besoin massif de requalification sont concernés.
Les équipes formation n’échapperont pas à cette requalification ?
Xavier Voilquin : Bien sûr, en particulier parce qu’elles animent des programmes qui contribuent au nécessaire changement d’état d’esprit dans l’entreprise, et parce que, dans la mise en œuvre de ces programmes de requalification, il est illusoire qu’elles pensent échapper à ce mouvement général ! D'autant que l’IAg s’immiscera partout : dans le processus de création de contenus (par exemple, la génération automatique de questions / réponses à partir de documents marketing ou de formations préalablement ingérés par l’IAg), dans les parcours de formation pour apporter un feed-back temps réel aux apprenants et aux formateurs, dans les stratégies formation, dans la traduction multilingues de contenus ou les recommandations commerciales immédiates résultant de l’analyse d’interaction vidéos entre un vendeur et son client… Le Département Formation devra apprendre à jouer de ces opportunités. Depuis mon point d’observation, la requalification peut prendre des tours surprenants… Au-delà de l’up skilling des équipes en place, je constate un nouvel appel d’air sur notre marché de l’emploi, depuis deux ans : des professionnels de la formation changeant d’employeurs au gré des besoins de qualification identifiés.
Dans la requalification d’ensemble, quelle part la formation peut-elle jouer ?
Xavier Voilquin : Quand on entend parler de requalification, on sait que la formation n’est jamais très loin. Il y va de la requalification comme de l’évolution de nos sociétés où les strates sont de plus en plus fluides, les positions qu’on croyait établies toujours plus incertaines et les destins davantage individualisés. On parle tout aussi bien de développement personnel, signal d’un changement de paradigme qui n’échappe à personne, d’une formation centralisée à une formation mieux distribuée. Mais la requalification est, comme telle, une thématique spécifique à part entière, parce que stratégique pour l’entreprise, et devant donc être pensée, articulée, planifiée, délivrée et mesurée. C’est dans ce cadre que s’intègre l’action du département formation, dont le rôle est essentiel : depuis l’articulation et la diffusion d’un nouveau « mindset » jusqu’aux actions de requalification et à leur mesure d’impact pour procurer un tableau de pilotage qui permette à l’entreprise de naviguer au mieux et d’anticiper les besoins.
L’IAg, innovation de rupture, et donc cause du problème, est-elle la solution : la requalification massive à coût réduit ?
Xavier Voilquin : Tout dépend de la compétence dont on parle… L’IAg peut certainement faciliter l’acquisition de nouvelles « hard skills » et leur application sur le terrain (via des bots de type ChatGPT nourris par des milliers de documents supports et permettant potentiellement de répondre à une infinité de questions). On peut ici parler de requalification à coût réduit. Mais, cette approche ne répond pas à tous les besoins de requalification. Par exemple, l’agilité ne se décrète pas, elle ne s’apprend pas en lisant des lignes, même savamment créées par une IAg. Elle se nourrit d’expériences vécues, de questionnements, parfois d’introspection. D’autres modalités doivent donc entrer dans le champ d’une action de requalification pour la rendre effective.
Je défendais récemment, auprès du dirigeant d’une start-up de l’Edtech, que la convergence de sa solution vidéo immersive et de l’IAg permettrait à tout salarié de s’immerger dans une infinité de situations très réalistes et, donc, de pouvoir s’approprier toutes sortes de compétences, notamment des soft skills. À quoi, il répliqua justement que, par ses temps incompressibles de traitement, une vidéo ne peut pas aller aussi vite que les situations créées au fil de l’eau par l’IAg… Toutefois, par la vitesse à laquelle celle-ci se développe en investissant tous les champs — texte, musique, image… vidéo — et en mobilisant tous les réseaux résolus à câbler l’infini, on peut se demander si la solution du problème ne sera pas rapidement trouvée !
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